Le cri du cœur d’un catholique révolté : « Le temps de l’hypocrisie, du déni et de la passivité dans l’Église doit être révolu ! »


Sommaire :

– Être catholique aujourd’hui : des droits et des devoirs inégaux dans une institution insécurisante

– En finir avec le fantasme de l’unité de l’Église catholique

– Le rapport du CCBF : Un premier pas pour entendre la colère silencieuse des « éloignés » de l’Église

– Altérité et souffrance en miroir

– Sortir du déni pour les uns, et du silence pour les autres

– Le synode sur la synodalité, véritable espoir ou désillusion de plus ?

– Réformer l’Église, mais le faire avec contenance

– Conclusion, projection vers l’Église de demain et création du collectif P.A.I.X


Je tiens ici à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé pour ce texte dans la relecture ou dans la mise en forme. Merci à Julien, Nicolas, Sylvette et Renaud !


Être catholique aujourd’hui : des droits et des devoirs inégaux dans une institution insécurisante

Ce qui m’a touché en 2018 dans ma rencontre avec le milieu catholique alors que j’étais profondément athée et anti-religion, c’est le message d’amour et d’accueil inconditionnels prôné par l’Église et incarné par Jésus dans les évangiles. C’est ce message profondément révolutionnaire, celui de ce droit inaliénable d’un amour égal pour tous et toutes, sans condition, sans discrimination et ce devoir qui nous incombe en tant que chrétiens d’être les témoins vivants de ce don d’amour dans la fraternité et la sororité entre nous. Si Dieu n’a jamais trahi cette promesse, que dire de l’Église catholique dans le traitement différencié exercé vis-à-vis des fidèles ?

Pour être accepté dans l’Église en France et avoir le maximum de droit, il faut être un homme, se reconnaître dans le genre qui nous a été affilié à la naissance, et être bien entendu hétérosexuel. Selon mes calculs, cela représenterait 42,72 % des membres de l’Église1. Pour les autres, la vie au sein de l’Église se fera avec moins de droits, plus de devoirs et souvent plus de souffrance :

– Si vous êtes une femme, l’accès à la prêtrise vous sera refusé tout comme les postes de responsabilité au sein de l’institution religieuse.. Et si vous décidez d’outre passer vos droits en vous présentant à une élection pour un poste réservé aux hommes, vous serez moquée, décrédibilisée et catégorisée de « polémiqueuse » (se référer ici à la candidature d’Anne Soupa au poste d’évêque de Lyon). Et ce n’est rien à côté du risque d’excommunication que vous prenez si vous décidez de mettre fin à votre grossesse en ayant recours à l’IVG !

– Si vous êtes une personne homosexuelle, vous n’aurez pas le droit de vous marier au sein de l’institution de votre religion avec la personne que vous aimez et la simple bénédiction par un prêtre était interdite jusqu’en décembre 2023 (cf la déclaration doctrinale « La confiance suppliante »). En effet, la doctrine catholique autorisait à bénir des voitures, des maisons et mêmes des animaux, mais pas l’amour entre deux personnes de même sexe comme l’avait rappelé la congrégation pour la doctrine de la foi en indiquant « Dieu ne bénit pas et ne peut pas bénir le péché ». De plus, vous serez poussée par l’institution à devenir abstinent et donc à vous priver de relations sexuelles. Derrière « l’accueil inconditionnel » des personnes homosexuelles prôné dans les discours actuels de l’institution, se cache en réalité une discrimination fondée sur une homophobie latente et persistante dans la doctrine de l’Église. Vous entendrez probablement des personnes vous dire « Je t’aime inconditionnellement, mais pas ta sexualité qui est contraire à l’amour que Dieu veut pour nous entre un homme et une femme ». Aimer inconditionnellement une personne c’est l’aimer pour ce qu’elle est et non pour ce que l’on aimerait qu’elle soit. Rester et vivre un écartèlement intérieur, rester et assumer désobéir à l’Église, ou partir pour être qui vous êtes avec le risque de perdre des proches et le lien avec votre religion, voici schématiquement les choix qui s’offrent à vous. Certains font également le choix de la prêtrise pour éviter tout soupçon sur leur sexualité et rendre leur abstinence socialement valorisée, mais à quel prix ?

– Si vous êtes une personne dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe qui vous a été assigné à la naissance, alors vous devrez vivre dans une institution qui a encore beaucoup de mal à appréhender votre réalité de vie. Si les personnes trans peuvent désormais obtenir le baptême, l’Église insiste sur la non-dissociation du sexe et du genre. Accueillir oui, mais il ne faudrait pas que la rencontre avec l’altérité bouleverse trop le rapport au monde des fidèles catholiques.

Et je ne prends pas ici en compte la situation particulièrement difficile dans la religion catholique des personnes divorcées remariées car il n’existe pas de données officielles sur cette situation dans l’Église.

Je parle ici d’inégalités et de discriminations qui sont pour la plupart inacceptables voir illégales dans notre société. Dans quelle autre institution en France une personne peut se voir refuser légalement des droits à cause de son orientation sexuelle, de son sexe d’origine ou de son choix d’avorter ? Il n’y en a pas. Et pourtant, l’Église devrait être pionnière de l’incarnation de l’accueil le plus inconditionnel possible de tous et de toutes. C’est en tout cas ce que je perçois dans le positionnement radical de Jésus auprès de toutes les personnes qu’il rencontre.

Je suis convaincu que les clivages, qu’ils soient entre les sexes avec les hommes d’un côté et les femmes de l’autre ou moral, entre le clergé et les laïcs, ou encore entre le bien et le mal, forment un poison racinaire qui mène ensuite aux fruits pourris que nous connaissons aujourd’hui dans l’Église engendrant de la souffrance inutile, de l’exclusion et des crimes.

Je perçois l’Église actuelle comme une institution particulièrement insécurisante voire dangereuse pour les minorités ou les personnes vulnérables. La sortie du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels commis dans l’Église (CIASE) en octobre 2021 a eu l’effet d’une onde de choc chez les fidèles et au sein de l’institution religieuse. Les chiffres sont effroyables : le nombre de victimes mineures d’agressions sexuelles commises par des prêtres, diacres, religieux ou religieuses, s’établit à 216 000 sur la période allant de 1950 à 2020 et monte à 330 000 si on comptabilise également les criminels laïcs (personnel des établissement catholiques, laïcs assurant le catéchisme…) ; l’âge moyen des victimes est de 12,5 ans ; entre 2900 et 3200 clercs et religieux abuseurs ; un taux de prévalence deux à trois fois supérieur que dans les autres institutions… En plus de ces crimes commis par des membres du clergé ou des laïcs, le rapport met en lumière le phénomène « d’occultation, de relativisation, voire de déni » qui a eu lieu durant une longue période à cause de responsables religieux soucieux de préserver l’image de l’Église plutôt que la protection de ses membres, la prise en charge des victimes et la sanction forte contre les criminels. Face à ce constat accablant pour l’Église, certains ont choisi d’ajouter à l’horreur décrite dans ce rapport de la CIASE, l’indécence de contester la méthodologie et les résultats de ce document en décrédibilisant ses auteurs et autrices ainsi que leurs conclusions. Dans un texte envoyé au pape en novembre 2021, huit membres de l’Académie catholique ont dénoncé « une méthodologie défaillante », des « carences » et des recommandations « discutables ». Plusieurs prêtres se sont prêtés à cet exercice de minimisation des faits, de diffusion de théories du complot autour d’un rapport de la CIASE « fallacieux et allié à la presse pour entacher l’Église », de refus de regarder en face leurs propres responsabilités dans le maintien d’une structure institutionnelle favorisant les abus sexuels sur les enfants… Cette campagne de décrédibilisation a freiné la mise en place de mesures préconisées par le rapport et permis à une minorité de catholique, de rester dans un déni sur l’ampleur du fléau des abus sexuels dans l’Église. Jean-Marc Sauvé, président de la CIASE, avait déclaré à ce sujet : « Nos détracteurs sont dans le déni mais soyons extrêmement clairs, il n’y a aucun doute sur le fait que le nombre de victimes s’évalue en centaine de milliers et s’il y a des corrections, il est beaucoup plus probable que ces corrections s’effectueront à la hausse qu’à la baisse ».

En lisant le rapport de la CIASE, j’ai été marqué par la partie sur la typologie des agresseurs qui illustre selon moi que les monstres n’existent pas, mais qu’une institution ou une société défaillante peut générer des actes monstrueux de la part de ses membres. En considérant tous ceux qui ont commis des abus sexuels sur des mineurs comme des monstres, nous anesthésions complètement le débat en refusant d’analyser les facteurs et les raisons profondes qui ont favorisé ces crimes. Pour moi, le mal que ces prêtres ont fait lorsqu’ils ont placé ces enfants dans une position d’objet sexuel pour satisfaire leur pulsion, ne nous donne pas le droit de leur retirer leur subjectivité. En les qualifiant de « monstres » et donc comme des non-sujets, nous nous abaissons non pas à leur niveau, mais au niveau de leurs actes que nous condamnons initialement. Quelle place laissons-nous alors pour le sujet qui reste malgré ses actes, un enfant de Dieu ? Dire cela ne signifie en aucun cas une déresponsabilisation de l’individu dont l’acte criminel reste un choix personnel, ou une absolution par un « pardon » niant la souffrance des victimes et la nécessité de la sanction judiciaire comme cela a pu être le cas dans l’Église durant de longues années2.

Concernant l’Église, il y a de nombreux facteurs internes au fonctionnement de l’institution favorisant les abus et les crimes. Voici ce qu’en dit le rapport : « Au plan des facteurs personnels, quelques agresseurs ont une orientation sexuelle préférentielle pour les enfants ou les jeunes adolescents éphèbes, mais ils représentent moins de 10 % des cas (John Jay College, 2004). […]. Souvent il semble que les agressions sexuelles résultent ainsi davantage d’un contexte personnel défaillant (solitude, frustration sexuelle, recherche d’affection) dans un environnement favorisant qui donne à l’agresseur un sentiment de protection et d’impunité totale en cas de défaillance ». De plus, dans certains cas évoqués dans le rapport, il apparaît que les anciens enfants victimes d’abus sont devenus à leur tour des prêtres criminels : 27 % des clercs agresseurs ont eux-mêmes été victimes d’agressions sexuelles dans l’enfance. « Au plan institutionnel, la structure hiérarchique particulière de l’Église catholique peut donner à un membre du clergé une illusion de pouvoir sur les fidèles (paroissiens), le mettant ainsi à l’abri de tout soupçon et lui permettant même de justifier certaines agressions sexuelles. Une morale sexuelle stricte qui antagonise, ou nie tout désir sexuel, peut également favoriser les abus sexuels ». En résumé, la structuration interne de l’Église favorise les crimes sexuels sur les enfants par des personnes ne possédant pas une préférence sexuelle pédophile et environ un quart des prêtres abuseurs présents dans le rapport auraient été eux-mêmes victimes d’abus sexuel pendant leur enfance. A la lecture de ces conclusions, il apparaît clairement que la structuration toxique de l’Église, sa doctrine et notre manque de contenance entre nous pour soutenir et accompagner les victimes, sont en partie responsables des actes monstrueux de prêtres envers les 333 000 enfants victimes. Je tiens néanmoins à réaffirmer que ces auteurs de violences sexuelles restent les premiers responsables de leurs crimes.

Réformer l’Église et prendre soin des uns et des autres dans une attitude contenante, voici un chemin possible pour prévenir et éviter en partie de potentiels passages à l’acte monstrueux dans les années à venir.

Si le rapport de la CIASE a permis de mettre en lumière les crimes sexuels systémiques au sein de l’Église envers les enfants, il me paraît nécessaire de rappeler que la pédophilie n’est malheureusement pas la seule situation de danger au sein de cette institution. Sans prétendre vous faire une liste exhaustive, voici quelques-uns des scandales qui ont éclaté dernièrement dans l’Église et qui illustrent le climat d’insécurité psychique et physique dont je viens de vous parler :

– les viols sur des religieuses : si ce scandale a été moins médiatisé que celui de la pédophilie, il n’en reste pas moins l’un des exemples les plus dramatiques de la violence et de l’insécurité qui règnent au sein de l’Église catholique. Si les premiers rapports sur le sujet datent de 1994 mais sont restés confidentiels et passés sous silence, il aura fallu attendre 2019 pour qu’un pape reconnaisse publiquement que des membres du clergé ont commis des abus sexuels contre des religieuses. Il existe peu de chiffres sur le sujet, mais une enquête menée en 1998 aux États-Unis a estimé que « 30 % des 89 000 religieuses catholiques ont fait l’expérience d’un trauma sexuel à la suite d’agressions ou de harcèlement sexuel commis par un membre de l’Église catholique au cours de leur vie religieuse »3. C’est l’enquête d’Arte4 qui a permis en France de mettre en lumière les témoignages de religieuses abusées par des prêtres.

– les abus spirituels et les dérives sectaires : la confiance parfois « aveugle » demandée par l’Église à ses membres ou par certains responsables religieux, couplée parfois avec des situations de dépendance financière voire spirituelle, ont facilité la mise en place de dérives sectaires au sein de nombreuses communautés notamment issues du renouveau charismatique. Nous pouvons citer les crimes et les emprises au sein de la communauté de Saint-Jean et son fondateur Marie-Dominique Philippe, celles des abus de faiblesse et des incitations aux ruptures familiales au sein des Béatitudes, ou encore les manipulations, les abus spirituels et sexuels au sein de la Légion du Christ.

– le mal-être chez les prêtres pouvant mener à des suicides : une enquête menée par l’Union Saint Martin à la demande de la Conférence des évêques de France en 2020, constate que 17,6 % des prêtres répondants présentent des symptômes dépressifs, un chiffre plus de trois fois supérieur aux hommes de la population générale et que 2/5 sont dans une situation de « mésusage » avec l’alcool. Le suicide récent du père François de Foucauld avait été un électrochoc dans le milieu catholique sur la santé mentale des prêtres. La rédactrice en chef du journal La croix, Isabelle de Gaulmyn, écrivait alors « N’est-il pas temps de nous interroger, collectivement, sur la manière dont nous traitons les prêtres dans notre Église ? »

– les thérapies de conversion et l’exorcisme pour modifier l’homosexualité  : avant que l’État français n’interdise ces pratiques, des communautés religieuses pratiquaient en toute impunité des séances de tortures psychiques intitulées « thérapies de guérison ou de conversion » à destination des personnes homosexuelles pour modifier leur sexualité. Cela pouvait être un accompagnement ou de « pseudo-thérapies » mais également des séances d’exorcisme pour chasser « le démon de l’homosexualité » (cf. « Libre de la honte à la Lumière », de mon ami Jean-Michel Dunand). L’Église par son discours hypocrite mais fondamentalement homophobe, a permis à ce genre de pratiques de germer et de se développer en son sein. Des personnes en situation de fragilité ont été conduites vers un écartèlement intérieur les amenant parfois jusqu’au suicide. Le livre « Dieu est amour » raconte de l’intérieur ces « thérapies de conversion » qui continuent encore aujourd’hui dans l’illégalité au sein de certaines communautés religieuses. Selon un rapport de l’ONU, 98 % des victimes de ces « thérapies » en gardent des séquelles psychologiques à vie. Une étude américaine a estimé à 698 000 le nombre de personnes LGBT qui ont enduré ces thérapies de conversion sans que l’on sache le nombre de victimes au sein de la religion catholique.


En finir avec le fantasme de l’unité de l’Église catholique

Lorsque j’évoque avec des membres de l’institution (fidèles engagés dans une paroisse, prêtres, religieuses…) la nécessité d’un changement de fond dans la structuration et la doctrine de l’Église Catholique, il est fréquent que l’interlocuteur me réponde : « Le risque si nous faisons évoluer la doctrine ou si nous répondons aux demandes de changements institutionnels des personnes « réformatrices » ou « progressistes », c’est de voir une partie des catholiques conservateurs se radicaliser voire quitter l’Église. Cette situation viendrait détruire l’unité des catholiques. Et là, c’est le risque du schisme5 ! ». Que dire sur cet argument qui justifierait le statu quo que nous connaissons aujourd’hui ? Tout d’abord, pour ceux et celles qui ne seraient pas familiers avec la culture chrétienne, ce concept de l’unité catholique est issu de deux passages de la Bible : une prière de Jésus peu de temps avant son arrestation et qui disait « Je prie pour que tous soit un. Père, qu’ils soient unis à nous comme toi tu es uni à moi et moi à toi »(cf. Jn 3, 16) et cette phrase de la lettre de Paul aux Corinthiens « C’est dans un unique Esprit que nous […] nous avons été baptisés pour former un seul corps »(cf. Co 12, 13). La vision d’une « unité des catholiques » faisant référence à ces paroles bibliques, part certes d’une bonne intention car elle illustre l’idée selon laquelle nous serions tous et toutes unis par notre religion comme une grande famille que rien ne pourrait diviser ou fracturer, mais je crains que cela ne soit qu’un fantasme voire une dangereuse illusion. Comment parler de « l’unité des catholiques » quand 244 000 personnes en Europe ont quitté l’Église cette année6 ? Quand seulement 8 % des catholiques vont régulièrement dans un lieu de culte7 ? Quand le nombre de personnes demandant l’apostasie (l’annulation du baptême) ne cesse d’augmenter en France pour atteindre le chiffre record de 2200 en 2018 soit plus de la moitié du nombre de nouveaux adultes baptisés selon les estimations8? Quand l’enquête sociologique de la Conférence Catholique des Baptisé·e·s Francophones publiée en Mars 2023, a mis en lumière les fractures au sein de la communauté catholique et les raisons profondes qui ont amené une part importante de fidèles à s’éloigner de l’Église ? Et que dire sur le sentiment d’une « union catholique » aux 330 000 enfants qui ont été victimes de violences sexuelles commises par 3000 prêtres prédateurs selon le rapport de la CIASE, et qui pour beaucoup n’ont pas été crus, ni entendus, ni reconnus, ni soutenus par la « communauté catholique » dans leurs souffrances pendant des années et encore aujourd’hui ? Voir dans ce constat une « unité des catholiques » qui mériterait de ne pas opérer les réformes nécessaires et demandées par une part de plus en plus importante de croyants, c’est au mieux naïf et au pire du déni ou une profonde hypocrisie. De plus, tenter par tous les moyens de maintenir un idéal d’unité c’est également prendre le risque de mettre en place une uniformité des membres qui composent l’Église. Comme l’a rappelé Véronique Margron, présidente élue de la conférence des religieuses et religieux de France, dans l’Humanité, « l’uniformité, au fond, c’est une tentation de toutes les sociétés, parce que cela paraît tellement plus simple de gouverner des semblables plutôt que des différents ». Le fait d’accepter un dogme et une doctrine, de devoir obéir à l’Église et ses représentants en toutes circonstances, d’avoir sacralisé la parole du clergé, de ne pas être incité à développer un esprit critique, d’être sanctionné par l’institution en cas de voix dissonantes avec les positionnements du Saint Siège… Tout ceci participe à une forme d’uniformisation des fidèles catholiques même si elle est n’est pas totalement opérante. Cependant, l’uniformisation est un danger puisqu’elle ne permet plus au sujet d’être librement. Pour Véronique Margron : « gouverner des semblables, c’est construire un musée où tout le monde sera mort parce que la vie, c’est par définition l’altérité et la différence ».

Anne Soupa, théologienne, avait déclaré dans un entretien dans le podcast Zétéo : « Le gros de l’Église est en dehors de l’Église ». Nous pourrions ici nous demander de quelle Église parle-t-elle, si c’est le lieu de culte, l’institution ecclésiale ou la communauté des catholiques. Mais dans tous les cas, cette phrase mise en parallèle du constat chiffré sur la situation que nous venons de voir précédemment, illustre que la crainte d’une partie de l’Église de voir survenir un schisme, est en fait déjà une réalité. Des catholiques partent, quotidiennement, sans faire de bruit comme sur la pointe des pieds, et se détachent du reste de la communauté catholique. Nous vivons actuellement ce que l’historien Jean-Benoît Poulle nomme « un schisme silencieux ».

Pourquoi ces vagues de départs semblent bien moins inquiéter les responsables ecclésiaux que le risque d’un schisme avec ses membres les plus conservateurs ?

Le rapport du CCBF : Un premier pas pour entendre la colère silencieuse des « éloignés » de l’Église

Il est nécessaire de s’interroger sur le profil des « éloignés » de l’Église et les raisons de leur départ. C’est dans cet objectif que la CCBF (Conférence Catholique des Baptisé·e·s Francophones) a réalisé une grande enquête9 sociologique autour des « éloignés » de l’Église. L’étude distingue d’un côté ceux et celles qui se sont éloignés de l’Église (« éloigné » renvoie à un mouvement), et les autres qui seraient loin (« loin » renvoie à un état). Pour ceux et celles qui sont loin, le sentiment qui dominerait est l’indifférence par rapport à la religion et les raisons de cet éloignement proviendraient davantage de causes externes plutôt qu’internes à l’Église. L’étude s’est donc intéressée aux « éloignés » qui illustrent des raisons profondes de mise à distance de l’institution.

A la question « Avez-vous des engagements dans la société (associatifs, personnels, professionnels, …) ?, 24 % ont répondu beaucoup ; 51 % quelques uns ; 17 % peu et seulement 8 % pas du tout. La majorité d’entre eux et elles sont donc actifs dans des engagements de tous ordres et de toute nature comme l’écologie, l’action auprès de personnes âgées, l’engagement humanitaire, l’intervention dans la société civile…

Concernant les raisons qui ont amené ces personnes vers cet éloignement, une personne sur quatre a indiqué qu’elles sont liées à un « événement particulier qui les a fait basculer » comme le fait d’avoir été soi-même abusé ou quelqu’un de son entourage, la découverte de son homosexualité, un événement ecclésial majeur comme la fermeture d’un centre ou les révélations du rapport de la CIASE… Dans la suite de l’enquête, un résultat me semble particulièrement pertinent dans la réflexion que nous menons dans cet article : 53 % des sondés se sentent désormais plus chrétiens que catholiques. « Leur éloignement de l’Église n’est donc pas un éloignement du christianisme » comme l’écrivent les auteurs de ce rapport. Ils sont même 32 % à « éprouver le besoin de célébration à l’occasion des temps forts de l’année, essentiellement les grandes fêtes religieuses ».

Dans cette enquête, les principales critiques exprimées par les « éloignés » envers l’Église se concentrent sur :

– le cléricalisme avec notamment « la sacralisation des clercs », une gouvernance « autoritaire voire « pyramidale », une absence de contre-pouvoirs ou de débat « démocratique », la faible place accordée aux laïcs…

– la place secondaire et inférieure des femmes

– la déconnexion de la vie des gens avec la figure des clercs éloignés de la réalité de vie des personnes, d’où une Église « déracinée » voire « hors sol ».

– une théologie figée et une Église qui « marche vers le passé ».

Ces personnes semblent néanmoins espérer un changement au sein de l’Église comme l’illustrent les résultats sur la question des transformations souhaitées. 96 % jugent que l’Égalité homme-femme est au moins une transformation importante, 85 % sur le partage des responsabilités entre clercs et laïcs et 89 % sur la fin du célibat obligatoire des prêtres.

A la question « Aimeriez-vous contribuer à de telles transformations ? », 55 % des personnes interrogées ont répondu « Oui ». Les auteurs et autrices du rapport analysent ce résultat en disant : « C’est d’une certaine manière considérable, plus en tout cas que ce à quoi on pouvait s’attendre.

Au de ces résultats, il apparaît clairement que la majorité des départs sont liés aux positionnements et à la doctrine de l’Église Catholique jugés incompatibles avec les valeurs fondamentales véhiculées par les évangiles et incarnées par Jésus. La prédication de Jésus est avant tout une lutte contre l’exclusion. Mais aujourd’hui, comme le relève Anne Soupa10, « l’Église est devenue une machine à exclure ». Ces personnes « éloignées » de l’Église, sont pour la plupart engagées dans les causes écologiques et sociales, fidèles aux valeurs des évangiles, soucieuses du devenir de l’Église… Quel gâchis… Récapitulons. Nous sommes dans une situation où l’Église en Europe ne cesse de décroître au niveau du nombre de ses fidèles, où le manque de forces vives dans les paroisses limite la capacité de l’institution à faire vivre la foi dans tous les territoires, où la crise de vocations des prêtres ne permet plus de maintenir la plupart des lieux de cultes ouverts, où les responsables ecclésiaux constatent et déplorent cette situation, où les révélations d’abus se succèdent et les crises s’accumulent mais dans le même temps, rien n’est fait pour opérer les changements nécessaires au sein de l’institution qui permettraient de garder voire de faire revenir cette part de plus en plus importante de catholiques qui s’éloignent de l’institution alors qu’ils désireraient être acteurs et actrices de son évolution.

En effet cette réponse positive suppose deux choses : d’une part que ces personnes pensent que l’on peut encore réformer l’Église de l’intérieur. Et d’autre part que, bien qu’elles se soient déclarées loin de l’Église, elles n’en sont en fait pas si éloignées que cela, ou en tout cas continuent à se sentir concernées voire impliquées. Signe qu’elles n’ont pas fait leur deuil de leur appartenance à la communauté des catholiques.

A la question que nous nous posions précédemment « Pourquoi ces vagues de départs semblent bien moins inquiéter les responsables ecclésiaux que le risque d’un schisme avec ses membres les plus conservateurs ? », je peux désormais émettre une hypothèse personnelle à la suite de la lecture de ce rapport. Probablement puisqu’il n’y a pas chez ces catholiques « éloignés » la volonté de schisme et de création d’une autre Église, comme ce fut le cas lors de la création du protestantisme, qui étalerait aux yeux du monde la division de la communauté des catholiques. Comme l’explique le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel dans le journal La Croix, ces catholiques « n’iront pas créer une autre Église, mais continueront le combat dans l’actuelle, ou partiront ailleurs, dans d’autres Églises, ou encore se retrouveront dans des groupes affinitaires plus conformes à leur compréhension de l’Évangile ». Difficile d’en dire autant des fidèles les plus radicaux de la sphère traditionnelle qui pourraient faire un schisme et constituer une autre Église plus conforme à leur vision figée de la foi dans le cas de réformes profondes sur l’organisation de l’institution et la doctrine catholique pourtant nécessaires pour une plus grande justice et égalité. Comme le déclarait Christine Pedotti, vaticanologue, dans le journal l’Humanité : « Toute la problématique est là : soit on protège ceux qui sont dans l’Église et qui sont de plus en plus réactionnaires, soit on s’adresse à l’ensemble du monde en risquant de rendre les autres agressifs ». Force est de constater que pour le moment l’Église choisit de protéger et/ou de ménager ceux qui restent pour maintenir les apparences au détriment de tous les autres. Quand l’Église s’effondre, l’important pour certains responsables c’est de maintenir l’illusion en faisant sonner les cloches…

Altérité et souffrance en miroir

Le fait que certains perçoivent l’augmentation des droits des autres comme une atteinte à leurs propres droits (cf. La Manif pour tous) ou que les préjugés sexistes et homophobes soient aussi présents au sein de l’institution religieuse, est peut-être une illustration parfaite de la théorie de la privation relative11(Crosby 1966)12. La privation relative chez un individu engendre des sentiments d’insatisfaction et de frustration pouvant amener à des comportements hostiles envers d’autres groupes considérés responsables de sa situation (Davies, 1962 ; Gurr, 1970 ; Hepworth et West, 1988)13 ou possédant quelque chose qu’il convoite.

De plus, d’un point de vue individuel, des études en psychologie ont démontré le lien entre préjugés/discriminations et la nécessité pour le sujet de restaurer l’image de soi face à une menace à l’intégrité de soi14 (Fein et Spencer 1997).

Nous pouvons donc ici nous demander si la doctrine de l’Église catholique, dans son exigence de privation15, ne favoriserait-elle pas l’émergence de sentiments de privation relative entre ceux et celles qui respecteraient à la lettre sa doctrine et ceux qui s’en détacheraient ? Comment un individu qui se priverait de sexualité pendant un temps délimité ou définitivement pour suivre l’idéal que lui propose l’Église, pourrait-il ne pas subir comme une violence le fait qu’une personne homosexuelle puisse s’épanouir dans sa sexualité en désobéissant à cette même doctrine religieuse ? Comment un couple marié dénué d’amour partagé depuis des années mais dont la loyauté envers la doctrine de l’Église rend impensable la séparation, pourrait-il pleinement accueillir et respecter la participation à l’eucharistie des divorcés remariés ?16 En fragilisant l’individu notamment en le privant ou en sacralisant sa sexualité ainsi qu’en le rendant spirituellement (voir psychiquement) dépendant de l’Église, la doctrine actuelle ne participerait-elle pas à la détérioration de l’image de soi ? Cette situation pouvant conduire l’individu (fidèle ou membre du clergé) à adopter des préjugés et des discriminations (conscientes ou inconscientes) envers un ou plusieurs groupes jugés responsables de leur situation de souffrance17 ?

Quand l’autre n’est plus un chemin vers le Christ mais un miroir déformé qui nous renvoie à nos propres souffrances, comment alors faire vivre entre nous cet amour et accueil inconditionnels dont nous sommes les bénéficiaires ? En d’autres termes, comment être témoin de l’amour inconditionnel dans une Église où « tout le monde est en souffrance » (Anne Soupa) ?

Je termine cette partie en émettant une dernière hypothèse. Les préjugés sur les minorités employés par des catholiques conservateurs pour freiner les évolutions sociales dans l’Église, pourraient également provenir d’une crainte de perdre une position de supériorité sur l’autre, de privilège. D’un point de vue sociale, les préjugés permettent de justifier la supériorité économique et sociale des groupes dominants18 (Serge Guimond, 2006). Permettre davantage d’horizontalité en abolissant les privilèges injustifiés au sein de l’Église est donc un acte qui serait bénéfique pour tout le monde. Pour certains, cela leur permettrait d’avoir davantage de droits. Pour d’autres, dont ceux qui s’accrochent à leurs privilèges au point de lutter activement pour les garder, cela leur permettrait de se rapprocher du royaume de Dieu car ne l’oublions jamais : « Les derniers seront les premiers et les premiers derniers 19». Il s’agit donc d’un acte de charité que nous réaliserions en reformant l’Église et en luttant contre toutes les formes de discrimination en son sein.

Sortir du déni pour les uns, du silence et de la passivité pour les autres

« Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret : ton Père qui voit dans le secret te le rendra » Matthieu 6, 3-4

Parmi les personnes les plus inspirantes que j’ai rencontrées au sein de la religion catholique, il était très fréquent que l’on me cite cette phrase des évangiles pour illustrer la position d’humilité, de discrétion et de refus d’être dans la lumière attendue pour un chrétien souhaitant se rapprocher du Royaume de Dieu. Dans l’absolu, il est évident qu’il s’agit de valeurs difficiles à critiquer. Mais dans une situation comme celle de l’Église actuellement, avec une institution malade et une minorité conservatrice qui lutte bruyamment et activement contre tout changement, cet idéal du chrétien humble et discret nous mène dans une impasse. Refuser de prendre l’espace médiatique par peur de se mettre en avant et perdre son « humilité chrétienne », c’est laisser cet espace uniquement à ceux et celles qui cherchent à maintenir la doctrine actuelle voire à revenir à un dogme ancien. Il suffit de regarder les chaînes et les médias détenus par le catholique ultra-conservateur Vincent Bolloré pour constater que cette vision traditionnelle de la religion est surmédiatisée et s’impose petit à petit dans l’opinion publique comme représentative de la religion chrétienne. Et cela n’est pas sans conséquence directe sur la vie de l’Église.

Le clergé est pour le moment l’un des principaux diffuseurs de la doctrine. Or, avec la doctrine religieuse exigeante et intransigeante envers les prêtres et les crises successives que traverse l’Église actuellement, non seulement les candidats pour entrer dans les ordres ne se bousculent plus au portillon mais il est évident qu’une part importante d’entre eux est favorable à cette sacralisation des clercs, à ce détachement du reste de la société ou encore à la vision réactionnaire de la doctrine de l’Église sur les sujets sociétaux. C’est donc logiquement que ces candidats au séminaire vont plutôt êtres des jeunes issus de famille attachées à l’Église et à sa doctrine présente voire passée. Dans un article du journal La Croix, nous pouvons lire que la communauté Saint Martin, très attachée à la messe en latin et au port de la soutane, pourrait représenter entre 20 et 40 % du clergé actif dans trente ans. En 2022, 122 prêtres ont été ordonnés dont environ un quart selon le rite ancien. Le journal La Croix a réalisé une étude inédite pour mieux cerner le profil de près de 700 séminaristes de France avec des résultats très intéressants sur le profil de ces probables futurs prêtres. « Un peu moins de la moitié (47%) a fréquenté régulièrement ou occasionnellement une paroisse ou communauté traditionaliste » et 21 % des répondants apprécient célébrer la messe selon le rite tridentin (messe traditionnelle basée notamment sur une célébration en latin avec le prêtre dos au fidèle, dont le pape a très fortement restreint l’usage). De plus, ce sondage n’a été réalisé qu’auprès des candidats à la prêtrise dans les formations du programme du Vatican sans prendre en compte ceux qui se préparent dans des instituts traditionalistes. Il y a donc fort à parier que les résultats pourraient être encore plus haut concernant l’attachement aux rites traditionnels catholiques en prenant en compte tous les séminaristes.

Autres exemples de la montée en puissance d’un clergé attaché aux valeurs traditionnelles, l’évêque ultra-conservateur Dominique Rey, proche de Vincent Bolloré et actuellement sanctionné par l’Église, a formé et ordonné pendant des années des prêtres très conservateurs à un rythme exceptionnellement haut au vu des difficultés de l’Église à trouver des candidats. En 22 ans, Dominique Rey a fait du diocèse de Fréjus Toulon le troisième plus dynamique de France avec 200 prêtres en activité. Quel meilleur moyen de diffuser sa vision de la foi qu’en formant un maximum de prêtres qui vont eux-mêmes pouvoir transmettre leur propre rapport à la religion aux fidèles de leur paroisse et peut-être évoluer au sein de l’institution ecclésiale vers des positions de pouvoir très utiles pour influer sur les positionnements de l’Église ? Mais Dominique Rey, Vincent Bolloré et d’autres s’attellent également à brouiller les frontières entre la religion et les personnalités d’extrême droite. Ce travail de fond porte ses fruits comme nous avons pu, avec effarement, le constater lors de la dernière élection présidentielle. En effet, selon un sondage Ifop pour La Croix, les candidats de l’extrême droite (Le Pen, Zemmour et Dupont Aignan) ont représenté 40 % du vote des catholiques soit 12 points de plus qu’en 2017. Il y a un récit qui s’est installé chez une partie des catholiques d’une Église mise en danger par l’implantation en France de la religion musulmane et par les soi-disantes « évolutions déconstructrices » de la société qui menaceraient les valeurs chrétiennes. Comment un fidèle catholique attaché à la tradition de l’Église et à sa doctrine, marginalisé et en perte de repères dans une société qui tend vers un effacement du religieux dans la sphère publique, ne serait pas une proie facile pour des candidats d’extrême droite prônant avec cynisme l’importance de préserver nos racines chrétiennes dans le but de lutter contre une menace de l’extérieur (« islamique » ; « étrangère »…) ou de l’intérieur (« lobbys LGBT » ; « wokisme »…) ?

La peur et la haine de l’autre semblent désormais avoir toute leur place au sein des fidèles catholiques en France. Si nous ne réagissons pas maintenant, il y a fort à parier que l’Église va continuer de perdre les fidèles attachés à une ouverture sur le monde et sur les évolutions de la société laissant ainsi encore davantage de place au conservatisme religieux.

« L’Église glisse sur une pente conservatrice assez forte », estime le théologien Pierre Gisel. Si le mouvement du Renouveau Charismatique et les communautés nouvelles qui en découlent ont permis une modernisation de la forme de la liturgie et des manières de pratiquer la religion catholique, force est de constater que sur le fond, une partie non négligeable de ces communautés (Saint Jean ; Béatitudes ; L’Emmanuel…) sont dans la droite ligne conservatrice de l’Église voire sont davantage attachées aux valeurs traditionnelles. Je vous invite à lire mon travail de recherche sur l’une de ces communautés pour comprendre l’envers du décor du Renouveau Charismatique dont le seul renouveau réside bien souvent dans la forme et non dans le fond.

Il est temps de faire entendre la voix de celles et ceux dans l’Église refusant que la religion catholique serve de caution au repli identitaire, au retour à des rites anciens ou à la discrimination entre les individus. Face à des personnes mettant en place des stratégies efficaces pour imposer une vision dogmatique de la religion ou utilisant Dieu pour légitimer leurs convictions discriminantes, prier et incarner à son échelle les valeurs des évangiles ne suffiront pas.

Pour entraîner un véritable mouvement de changement interne à l’Église, nous devons dépasser nos petits intérêts personnels pour embrasser une cause collective et solidaire. Le fait que je sois un homme, blanc, cis (=qui se reconnaît dans son genre de naissance), hétérosexuel jusqu’à preuve du contraire, ne doit pas m’empêcher de me laisser toucher par la souffrance ou les préoccupations des femmes, des personnes racisées ou encore des membres de la communauté LGBT.

Si on suit le message de Jésus dans les évangiles, aucune souffrance ne doit nous laisser indifférent car nous sommes tous et toutes des frères et des sœurs.

Mes caractéristiques privilégiées au sein de l’Église ne doivent pas être des freins à un engagement pour davantage de justice sociale au sein cette institution. Nous ne devons pas faire comme le prêtre et le lévite dans la parabole du bon samaritain en détournant notre regard de la souffrance de nos prochains.

Le synode sur la synodalité, véritable espoir ou désillusion de plus ?

Avant toute chose, il me paraît nécessaire de rappeler de quoi il s’agit pour les personnes peu familières avec le langage interne à l’Église. Le synode sur la synodalité est une assemblée générale consultative et représentative du clergé et des fidèles pour délibérer sur l’avenir de l’Église. L’origine du mot synode peut signifier « cheminer ensemble ». L’étape qui s’est déroulée du 4 au 29 octobre est la dernière d’un vaste processus initié en 2021 par le pape François. Après avoir appelé les fidèles du monde entier à donner leur avis, le pape a réuni « 365 personnes de tous les continents pour débattre, dont 96 non-évêques et 54 femmes à Rome pour une assemblée générale. C’est la première fois que des femmes sont conviées pour prendre part aux délibérations avec un droit de vote. Une autre est prévue en 2024 avant que le pape ne tranche. C’est sur la base du document de synthèse des consultations des catholiques du monde entier « Instrumentum laboris » (= outil de travail) rédigé par le secrétariat du synode, que les débats ont eu lieu. Il est important de rappeler que les fruits de ce synode ne sont que des propositions ou des orientations faites au pape. Lui seul a le pouvoir de décision vu que l’Église est actuellement dans un modèle théocratique.

J’ai pris le temps de lire « Instrumentum laboris », le rapport synodal issu de l’assemblée générale du Synode, la Lettre de la XVIème Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques au peuple de Dieu ainsi que plusieurs contenus médiatiques autour des conclusions de cet événement pour l’avenir de l’Église. Si le document de travail « Instrumentum laboris », fruit des remontées des fidèles et des assemblées continentales était ambitieux et abordait la plupart des sujets sur lesquels l’Église doit impérativement évoluer, la lecture du rapport synodal me laisse un goût amer et semble témoigner d’une prise en compte partielle des préoccupations des catholiques pourtant inscrites à l’ordre du jour. Concernant les points positifs du rapport post synode, la place des femmes dans l’institution religieuse semble enfin être un sujet pour l’Église. Nous pouvons lire : « Les femmes réclament justice dans une société marquée par la violence sexuelle et les inégalités économiques, et par la tendance à les traiter comme des objets » ; « L’accompagnement et une réelle promotion des femmes vont de pair » ; « Le cléricalisme, le machisme et l’usage inapproprié de l’autorité continuent à marquer le visage de l’Église et à nuire à la communion ». En comparant les deux documents, j’ai constaté que dans « Instrumentum laboris » les personnes LGBTQ+ sont mentionnées comme faisant partie des individus dont l’accueil est inadapté au sein de l’Église. Le mot LGBT+ est cité deux fois dans ce premier document notamment dans ce très beau paragraphe : « Comment pouvons-nous créer des espaces dans lesquels les personnes qui se sentent blessées par l’Église et mal accueillies par la communauté peuvent se sentir reconnues, accueillies, non jugées et libres de poser des questions ? A la lumière de l’Exhortation Apostolique post-synodale Amoris laetitia, quelles mesures concrètes sont nécessaires pour atteindre les personnes qui se sentent exclues de l’Église en raison de leur affectivité ou de leur sexualité (par exemple, les divorcés remariés, les personnes vivant dans des mariages polygames, les personnes LGBTQ+, etc.). » ? Malheureusement, dans le rapport post-assemblée, comme par magie ou par malédiction, le mot LGBTQ+ ne figure dans aucune des 44 pages de ce document. Il en est de même pour les divorcés remariés présents à trois reprises dans le premier document est absents dans le deuxième. Certes le rapport parle parfois implicitement de ces deux populations mais sans les nommer ce qui signifie pour moi beaucoup dans le manque de considération vis-à-vis de la souffrance de ces personnes par rapport à la doctrine discriminante de l’Église à leur égard. Sur les questions relatives à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle, le rapport indique : « il est important de prendre le temps nécessaire à cette réflexion et d’y investir les meilleures énergies, sans céder à des jugements simplificateurs qui blessent les personnes et le Corps de L’Église ». La seule proposition concrète pour répondre à la souffrance des personnes LGBT dans l’Église est : mettre en place un ministère de l’écoute et de l’accompagnement. Pas d’abolition du lien entre péché et homosexualité, pas de bénédiction sacramentelle ou de mariage pour les personnes de même sexe…

Comme d’habitude, l’Église dit qu’elle entend la souffrance des personnes concernées mais rien ne change fondamentalement. « Dans l’Église on peut tout dire, mais ça ne change rien ! » (Anne Soupa).

L’avenir de l’Église peut se jouer dans la fin du pontificat de François. Il est très difficile de voir clair dans les positionnements de ce pape car, malgré son ouverture et son progressisme sur de nombreux sujets, il a parfois fait preuve d’ambivalence notamment autour de l’homosexualité. En effet, s’il a plusieurs fois affirmé qu’il ne fallait pas rejeter, ni criminaliser les personnes homosexuelles et qu’il était favorable à la bénédiction des couples de même sexe, il a aussi rappelé que l’homosexualité est un péché dans l’Église et confirmé l’instruction romaine de 2005 interdisant les candidats prêtres ayant des « tendances homosexuelles ». Si l’ouverture de la bénédiction aux couples homosexuels en décembre 2023 est une évolution positive pour une plus grande reconnaissance de ces personnes, elle ne change pas fondamentalement le positionnement homophobe de l’institution comme l’ont rappelé dans une tribune plusieurs militants catholiques pour les droits des personnes LGBT. Néanmoins, les prises de positions fortes de François sur l’écologie, sur l’accueil inconditionnel des migrants, sur la place des laïcs dans l’institution ou encore contre le cléricalisme, font de lui l’un des papes les plus « progressistes » que l’Église à connu.

Il est fort probable que je ne me considérerais pas catholique aujourd’hui sans ce pontificat de François durant lequel je me suis senti plusieurs fois rejoint dans mes préoccupations notamment avec ma lecture de ses encycliques « Laudato Si » et « Fratelli Tutti » ou du film « The Letter » dans lequel il a joué son propre rôle. Mais qu’adviendra t’il après sa mort ?

Si François a nommé beaucoup de cardinaux durant son pontificat probablement proches de sa vision de l’Église, il n’est pas assuré qu’ils voteront pour un pape qui poursuivra sur le même chemin. Son management vertical voire parfois autoritaire et ses prises de positions ambivalentes, ont probablement déplu à une part importante des cardinaux (seuls votant pour la nomination d’un pape) même chez ceux élus par François. Seules des réformes mises en place pendant son pontificat seront des certitudes sur l’avenir de l’Église. Vu la santé très fragile du pape, le temps presse et les cardinaux conservateurs savent que le futur de l’Église se dessine dans les mois et années qui viennent.

Réformer l’Église, mais le faire avec contenance

Le signifiant contenance renvoie pour moi à deux signifiés. Le premier, c’est le lien avec la notion psychanalytique de « la fonction psychique contenante » rattachée à la capacité de l’analyste à contenir les émotions ou les pensées du patient lorsqu’il est en situation de fragilité. Ce qui soigne alors c’est « l’expérience selon laquelle la vie émotionnelle troublée, perturbée, douloureuse trouve un espace dans lequel elle puisse être reçue et contenue »20 (Ciccone, 2012). Il est ici question de prendre soin de la personne vulnérable en lui proposant un accueil inconditionnel de sa souffrance. Le deuxième signifié, c’est celui rattaché au verbe contenir pouvant représenter le fait d’empêcher des personnes d’avancer ou de s’étendre. Je vois dans ce deuxième sens une question de limites, de cadres à poser ou à faire respecter.


Ces deux sens mis ensemble, invitent donc à un double mouvement : celui de poser des limites et celui de prendre soin.

Pour faire le lien avec la situation interne à l’Église face à la nécessité de réformes profondes et structurelles, il s’agit de ne pas avoir peur de les mener, d’accepter d’entrer dans une forme de lutte voire de conflits avec des personnes accrochées au dogme et à la doctrine actuels, mais sans jamais perdre de vue que cela pourrait avoir des impacts violents sur leur santé psychique et donc aussi physique. En effet, elles pourraient avoir le sentiment de perdre quelque chose ou de se retrouver confrontées à des problématiques qu’elles pensaient ne plus avoir à affronter. Si nous prenons le cas des hommes d’Église, il est évident qu’un changement sur la doctrine autorisant leur accès à la sexualité ou à une vie de couple, pourrait accentuer la souffrance de ceux qui avaient vécu le célibat comme une condition sine qua none pour rentrer dans le clergé, et qui, après des années de lutte intérieure, se retrouveraient avec cette question : « Quel est le sens de toute cette souffrance que l’on m’a fait endurer ? ». Cette situation pourrait être vécue comme une profonde injustice voire fragiliser encore un peu plus leur système psychique déjà fragilisé pouvant mener à des décompensations. Pour des fidèles attachés à la doctrine actuelle, venir remettre en cause leur vision du monde binaire et sécurisante, pourrait engendrer beaucoup d’angoisses, un sentiment de trahison vis-à-vis de l’Église voire même une perte totale de repères.

Ma colère vis-à-vis du conservatisme religieux catholique dans son refus d’un changement pouvant permettre plus d’égalité entre tous et toutes, ne me fait pas oublier que cette vision traditionnelle de la religion est portée par des individus avec leurs propres vécus et leurs propres souffrances. Lutter pour les droits des minorités ou des classes dominées ne peut pas se faire en oubliant le droit de chacun à être respecté dans sa dignité. Il s’agit d’être dans ce que j’appellerais « une fermeté bienveillante ». Aujourd’hui je lutte contre les idées portées par des personnes conservatrices pour contenir leur vision de la foi qui empiète sur les droits fondamentaux d’autres personnes, mais si demain l’Église lance ces réformes pour plus de sécurité et d’égalité, je ferai mon possible pour être présent et dans une position de contenance pour les personnes déstabilisées par ces changements.

J’ai l’intime conviction que l’attachement à une religion figée dans le temps est le symptôme d’une grande fragilité dans le rapport au monde, à soi et probablement à Dieu. Si les crises successives que traversent l’Église ont abouti à une prise de conscience d’une part importante de catholiques de la nécessité d’un changement structurel de l’institution, une part non négligeable de ses membres semble avoir évité d’entrer dans cette phase, certes angoissante et déstabilisante, mais nécessaire pour passer à un autre état. Et pourtant, cette forme de fuite ne fait que retarder l’échéance. L’Église est malade, mais malade d’un mal qui n’est pas incurable. La maintenir dans cet état ce n’est en aucun cas lui rendre service. Pour éviter que cette maladie continue de faire souffrir inutilement des personnes innocentes, il est urgent de réformer l’institution. Et cela permettrait peut-être aux personnes figées dans leurs certitudes religieuses, de commencer à douter, de vivre une crise profonde, se faire aider et s’ouvrir alors au monde avec les bras, le cœur et l’esprit davantage ouvert.

Pour finir cette partie, il me paraît nécessaire de rappeler que ma lutte n’est pas contre les personnes conservatrices mais bien contre leurs idées. Nous ne sommes pas des ennemis, simplement des frères et des sœurs dans une institution qui ne permet pas aujourd’hui de faire entendre nos divergences et d’offrir un cadre sain pour une conflictualité stimulante. Pour celles et ceux qui seraient tentés de me dire « L’Église avance mais il lui faut du temps », je vous invite fortement à lire les témoignages de personnes abusées sexuellement dans le rapport de la CIASE, d’aller écouter la souffrance absolue de personnes LGBT croyantes obligées de faire un choix entre leur religion et leur vie sexuelle, de regarder le reportage d’Arte sur les sœurs abusées alors qu’elles avaient dédié leur vie à l’Église… Allez dire à ces personnes que nous allons encore attendre des années pour prendre les décisions qui pourraient éviter d’autres souffrances inutiles  ! Les auteurs et autrices du rapport de la CIASE expriment le même sentiment lorsqu’ils écrivent : « On ne peut en effet connaître et comprendre le réel tel qu’il est, et en tirer les conséquences, si l’on n’est pas capable de se laisser soi-même toucher par ce que les victimes ont vécu : la souffrance, l’isolement et, souvent, la honte et la culpabilité ».

Le temps du déni, de l’hypocrisie et de l’omerta doit appartenir au passé de l’Église. Nous devons agir vite pour stopper l’hémorragie et éviter d’autres vies brisées, d’autres victimes, d’autres morts. Je ne suis pas habité par la haine, simplement par une colère et un profond besoin d’égalité, de sécurité, de justice, et d’amour pour tous et toutes au sein de l’Église.

Conclusion, projection vers l’Église de demain et création du collectif P.A.I.X

Pour l’écrivain catholique Bernanos : « L’Église n’a pas besoin de réformateurs mais de saints ». Je crois au contraire que l’Église doit en finir avec la sainteté, pour donner davantage de place et d’espace de parole aux individus ordinaires qui la composent, dont celles et ceux dont je fais partie et que Bernanos appelle ici « les réformateurs ». Débattre, écouter, inclure, confronter, changer, évoluer, réformer… N’est-ce pas là un champ lexical nouveau mais adapté à une Église dans un véritable chemin synodal ? Si ces verbes ne sont pas compatibles avec l’image que l’Église se fait d’un synode, alors c’est qu’il nous faut inventer une autre manière de la réformer en bousculant l’ordre établi au sein de cette institution.

Une révolution ? Le mot avait été utilisé par le pape lui-même lors d’un échange avec des activistes français : « Faites la révolution, faites du désordre. Le monde est sourd, il faut lui ouvrir les oreilles. » Pourquoi cette phrase ne pourrait-elle pas s’appliquer pour l’Église sourde à la souffrance d’une part importante de ses membres ?

Il ne s’agirait pas d’opérer une révolution violente mais bien d’exprimer un besoin clair de changement et d’agir avec de nouveaux modes d’action face à un dogme et un ordre établis profondément injustes, discriminants et dangereux.

Qui a interdit les « thérapies de conversion » que des communautés catholiques ont pratiqué pendant des années ? La loi française. Qui a brisé l’omerta autour des abus sexuels au sein de l’institution ecclésiale ? Les médias. Qui a mis fin à l’impunité du père Preynad à Lyon ? Des fidèles catholiques courageux. Est-ce donc cela une Église qui se perçoit comme une mère pour ses fidèles ? Comment percevoir cette institution comme crédible face à un tel constat de passivité voire de déni volontaire de crimes ? Sans l’État, les médias et des catholiques courageux défiant l’institution, l’Église en serait probablement toujours à cacher les centaines de milliers d’enfants victimes d’abus sexuels ou l’existence de tortures psychiques contre les personnes homosexuelles. La passivité organisée du clergé ne doit pas être une excuse à notre propre passivité au sein de l’institution. Nous allons avoir besoin de transformer et de faire entendre notre colère trop longtemps restée silencieuse. L’Église a besoin de catholiques révoltés, d’insurgés de Dieu21. Je suis conscient que ces quelques lignes risquent de heurter certains lecteurs et lectrices par rapport à la forme d’obéissance que l’Église nous demande et qui est incompatible avec cette révolte (ou révolution) de foi dont je parle, mais n’est- ce pas nécessaire de « désobéir à une institution si c’est pour obéir à l’Évangile »22 ? Comme le rappelle si bien Anne Soupa dans son livre « Pour l’amour de Dieu » : « Jésus lui-même a guéri quelqu’un le jour du sabbat alors que cela n’était pas permis par la Loi juive ». Le Verbe (« Amour ») qui s’est fait chaire n’a pas hésité à désobéir aux hommes de lois et à la doctrine religieuse de l’époque pour véritablement rencontrer les personnes dans leur singularité et leur témoigner l’amour inconditionnel de Dieu pour elles.

Désobéir pour amener l’Église à se réformer, ou obéir pour voir l’Église continuer de se renfermer sur elle-même. Aucun chemin n’est pour le moment tracé. Il nous revient de choisir lequel nous emprunterons dans les années à venir.

J’ai écrit cet article comme un cri du cœur d’un catholique en colère et révolté. Je ne le fais pas contre l’Église mais bien pour l’Église. Comme l’a rappelé « La lettre au peuple de Dieu » qui a suivi le synode, nous ne devons plus hésiter « à exprimer nos convergences et nos divergences, nos désirs et nos interrogations, librement et humblement ». C’est dans cet esprit que j’ai écrit ce texte.

Pour clôturer, je vous propose ma vision de l’Église de demain dans un exercice projectif. Nous avons besoin d’ouvrir nos imaginaires pour continuer à faire vivre la flamme d’espoir qu’un changement est possible, qu’une autre vie au sein de l’Église est possible. N’hésitez pas à me transmettre à votre tour un texte sur les évolutions concernant l’Église que vous voulez voir advenir dans les années à venir.

L’Église de demain

Je souhaite qu’un jour, notre Église se lève et vive pleinement la véritable réalité du message de Jésus : « Aimez-vous les uns et les autres comme je vous ai aimé ».

Dans l’Église de demain, sur les bancs en bois de nos cathédrales, les enfants des anciennes communautés traditionnelles et les enfants de couples homosexuels pourraient s’asseoir ensemble à la table de la fraternité et se donner la paix du Christ avec amour et respect. Les représentants religieux, homme ou femme, de la fraternité Saint Pie X ou de la communauté de l’Emmanuel, marieraient deux personnes homosexuelles et béniraient leur union devant Dieu. Consciente de la discrimination présente dans son dogme, l’Église supprimerait la mention de péché pour l’homosexualité et la reconnaîtrait enfin comme l’une des orientations sexuelles possibles. Les générations futures pourraient vivre dans une institution religieuse où leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leurs choix de vie, ne seraient plus des motifs de discriminations ou d’inégalités. Plus largement, la sexualité ne serait plus un tabou mais reconnue comme une part importante de la vie et un droit fondamental pour l’ensemble des êtres humains.

Dans l’Église de demain, j’aurais la possibilité d’être accompagné spirituellement par des personnes représentants l’institution religieuse ayant le droit de pouvoir avoir une famille, une vie sexuelle et sentimentale, proche de mes préoccupations car partageant les souffrances et les joies du commun des mortels.

Dans l’Église de demain, je rêve qu’un immense événement, réunissant l’ensemble des victimes encore vivantes d’abus sexuels dans l’Église en France, puisse permettre une demande de pardon, de reconnaissance des crimes et de la complicité de l’institution religieuse. Ce moment serait l’occasion pour ceux et celles qui, comme moi n’ont pas été victimes d’abus sexuels au sein de l’institution, d’être présents et de montrer notre soutien et notre solidarité pour nos sœurs et nos frères qui ont tant souffert des abus et de la loi du silence. L’Église deviendrait un lieu d’accueil et sécurisant pour toutes les personnes en proie à la souffrance, au rejet ou aux violences. Je pourrais alors m’asseoir dans un lieu de culte catholique, prier et me sentir à ma juste place en cohérence avec les valeurs qui m’habitent depuis ma lecture des évangiles. L’Église ne serait plus le témoin d’un passé révolu et réactionnaire, mais bien un phare dans la nuit pour nos sociétés modernes face aux crises qu’elles traversent.

Dans l’Église de demain, l’autorité religieuse catholique condamnerait fermement la pénalisation de l’avortement dans certains pays qui met en danger la vie des femmes et leur émancipation. La communauté catholique se mobiliserait pour lutter contre le dérèglement climatique, pour l’accueil inconditionnel des migrants, contre la montée de la xénophobie et du racisme, et pour l’acceptation de chacun et chacune dans leur singularité.

En étant catholique de cette Église ouverte sur le monde et sur les évolutions de la société, je pourrais dire à un ou une inconnue que j’appartiens à cette religion et que la première question ne sera plus « Au vu de la doctrine de l’Église, tu es homophobe du coup ? », mais plutôt « Qu’est-ce que ça fait de se sentir aimé inconditionnellement ? »

Et si cette projection pour l’Église de demain devenait réalité ?


Si vous avez lu l’entièreté de ce texte, et que vous partagez ce désir profond d’accélérer le changement au sein de l’Église, je viens juste de lancer la création du collectif P.A.I.X Pour un accueil inconditionnel dans l’Église (le X c’est une croix catholique penchée pour représenter l’Église catholique dans la situation actuelle) dans le but de réunir des catholiques désireux d’unir leurs forces et leurs voix pour passer à l’action.

Pour lire le manifeste : https://olivier-perret-auteur.fr/2024/01/10/lancement-du-collectif-p-a-i-x-et-manifeste-pour-un-accueil-inconditionnel-dans-leglise-catholique/

Vous pouvez m’envoyer un mail à cette adresse pour rejoindre le collectif : pourunaccueilinconditionnel@gmail.com

Nous avons le pouvoir de changer les choses, rien n’est immuable pas même la doctrine d’une institution vieille de 2000 ans  !



1 Je suis parti du principe que la population au sein de l’Église était proportionnelle à celle au sein de la société française. Il y a 89 % des français·es se déclarant hétérosexuel·le·s. Sachant que la France compte 48 % d’hommes, il y aurait 42,72 % seulement de la population qui serait un homme et hétérosexuel. Je ne prends pas ici en compte la part de personnes trans car les estimations varient beaucoup d’un site à un autre et une personne peut être comptée deux fois si on prend en plus la question de l’orientation sexuelle. Ce chiffre varie autour de 0,33 % de la population ce qui ne change pas fondamentalement le résultat du calcul.

2 Se référer au film « Grâce à Dieu » sur les crimes sexuels du prêtre Bernard Preynat et du pardon imposé aux victimes par le diocèse de Lyon vis-à-vis du responsable de leurs souffrances.

3 Source : Inserm, « Sociologie des violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France (1950-2020) », publiée en octobre 2021, rédigé par Nathalie Bajos ; Julien Ancian ; Josselin Tricou et Axelle Valendru.

4 Arte « Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Eglise ».

5 Le dictionnaire Larousse définit le schisme comme étant : « La rupture de l’unité de la communion ecclésiale et situation née de cette scission »

6 Selon les chiffres du Vatican : http://www.fides.org/fr/stats

7 Selon les chiffres de l’Insee, « La diversité religieuse en France : transmissions intergénérationnelles et pratiques selon les origines ».

8 Estimation réalisée par CheckNews de Libération à partir des informations communiquées par les diocèses.

9 L’analyse repose sur un échantillon important de 1565 personnes qui se sont déclarés explicitement être « très » ou « assez » éloignées de l’Église.

10 Dans le podcast de Zétéo numéro 186.

11 Cette théorie renvoie aux sentiments de privation ou plutôt aux insatisfactions relatives aux conditions sociales d’existence et aux sentiments d’injustice des individus qui ne sont pas uniquement reliés à leur situation objective mais bien aux comparaisons subjectives qu’ils établissent avec les caractéristiques des autres. Les conditions d’émergences de ce sentiment sont au nombre de 3 : le sentiment qu’un individu a d’être privé de « X » (objet ou statut) quand il ne l’a pas ou ne l’a plus ; au fait qu’il croit que d’autres personnes (ou groupes) le détiennent (que cela soit le cas ou non) ; au statut ou objet qu’il désire et qu’il pense être en mesure d’obtenir (Crosby, 1976 ; Runciman, 1966).

12 Crosby, F. (1976). A model of egoistical relative deprivation. Psychological Review, 83, 85-113.

13 Davies, J.C. (1962). Toward a theroy of revolution. American sociological review, 27, 5-19.
Gurr, T.R. (1970). Why Men Rebel. Princeton, N.J : Princeton University Presse.

Hepwtoth, J.T. and West, S.G. (1988) Lynchings and the economy : a time Series reanalysis of Hovland and Sears (1940). Journal of personnality and social psychology, 55, 239-247.

14 Fein, S., & Spencer, S.J. (1997). Prejudice as self-image maintenance : Affirming the self through derogating others. Journal of Personality and Social Psychology, 73(1), 31-44.

15 Célibat pour les prêtres qui peut s’accompagner d’une grande solitude ou d’un isolement ; la chasteté avant le mariage, l’abstinence demandée pour les personnes homosexuelles, ou encore le fait de ne pas avoir le droit d’avoir recours à l’IVG en tant que femme.

16 Nous pouvons citer également un autre exemple : comment un homme ou une femme dont l’homosexualité inavouée et inavouable a mené vers la prêtrise ou vers la vie religieuse pour préserver ce secret, serait-il en capacité de ne pas projeter ses propres frustrations et ressentiments, fruits du refoulement de son orientation sexuelle, sur des fidèles homosexuels dont il aurait la charge dans un accompagnement spirituel ou lors de prise de décisions institutionnelles impactant la vie de ces personnes ?

17 La communauté LGBT modifiant la vision binaire de la doctrine, journalistes révélant des affaires d’abus qui ébranlent l’image de l’institution, religion musulmane qui ne connaît pas les difficultés de la religion catholique en France concernant la baisse de foi des fidèles…

18 Guimond, S. (2006). La fonction sociale des préjugés ethniques. Cahiers de l’Urmis, mis en ligne le 15 décembre 20006.

19 Matthieu chapitre 19 versets 27 à 30.

20 Ciccone, A. (2012). Contenance, enveloppe psychique et parentalité interne soignante. Journal de la psychanalyse de l’enfant, 2, 397-433. https://doi.org/10.3917/jpe.004.0397

21 Pour reprendre le surnom donné à l’abbé Pierre.

22 Réflexion issue du livre « Pour l’amour de

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